Je me souviens du père d’un ami qui râlait en disant que des bouts de plastique rouge comme des confettis étaient éparpillés sur les rochers auprès desquels il nageait… Il aurait porté ses lunettes pour distinguer que ces gros confettis bougeaient, il aurait peut-être réalisé qu’il avait eu la chance de voir un rassemblement de vers plats roses. Puisqu’on parle de voir des animaux colorés, des éclaircissements s’imposent.
1 – Tout plat
C’est un vrai ver, sans pattes, quasiment tout lisse, de 1 à 2 mm d’épaisseur donc… plat (Euryleptidae, chez les Plathelminthes, les planaires, pour le moyen mnémotechnique). Sans le « petit arbre de branchies » qu’ont d’autres vers (les doris dalmatien par exemple), cet animal respire directement par tout son corps. Il « est » sa propre branchie.
2 – Saute aux yeux
Déjà, il faut retrouver ce ver plat rose. De par sa couleur rose un peu violet (plus pâle en face inférieure), cet ovale allongé et ses 2 cm de long peuvent attirer l’attention sur les fonds souvent d’autres nuances orangées ou verdâtres. Surtout que cette tâche rose porte 5 ovales concentriques sur son dos, tout en étant entourée de cercles blanc et rouge. Avec la ligne médiane et les tentacules (qui portent plein de petits yeux) sur sa tête (sans cerveau !) un peu rouge rosé aussi, c’est une vraie cible mouvante pour photographes.
3 – Pourquoi là ?
Cible mouvante, car une de ces petites beautés peut se déplacer par reptation sur le fond assez rapidement. Ses bords en constant mouvement de vague lui permettent de « nager » aussi pour rejoindre les petits trous sur des surfaces verticales qui lui servent d’abri, parmi les algues calcaires et les autres animaux colorés. De la surface à 60 m de profondeur, on peut croiser des rassemblements de ces vers plats grégaires (d’où le tas de gros confettis…).
4 – Réchauffement climatique ?
Décrite pour la première fois dans la baie de Naples (Lang, 1884), cette espèce était réputée être méditerranéenne seulement. Pourtant, en 2010, une étude en a pour la première fois capturé quelques spécimens à 20 m environ au Portugal, en Atlantique donc. Depuis, les observations se sont multipliées de cette côte jusqu’au Sénégal, mais pas plus au Nord… Avec les courants baignant les côtes françaises ou en partie supérieure de l’Espagne, il fait peut-être encore un peu frais.
5 – En recherche de proies
Quand on parle de vers, de nombreuses personnes imaginent un végétarien. Il n’en est rien, vous avez sous les yeux un grand prédateur. De quoi ? C’est là que se pose le problème. On la pensait prédatrice d’animaux fixés (cela ressemble plus à du broutage je l’accorde) comme beaucoup d’autres vers plats, mais P. roseus est spécialisée : elle prélève les petites ascidies Pycnoclavella dont l’espèce nana surtout (les clavelines naines, jaunes).
6 – Mais où est la bouche ?
Comment dire… Vu de dessus, ce ver plat rose semble tout lisse. En dessous par contre se situe un trou. Un petit trou. Qui sert de bouche, d’anus, de poubelle et de paille à la fois. Imaginez que son « estomac » est comme un sac. Ce qui est avalé (bouts de rochers, bouts de squelette calcaire, proies voulues, eau de mer etc.) passe dans ce sac, qui doit être vidé de temps en temps en le retournant à l’extérieur. Mais cette capacité de dévagination est aussi utile pour ce ver : il peut en sortir un bout directement sur les ascidies, sécréter du mucus digestif et aspirer la bouillie en résultant.
7 – Un ou une ver plat(e) ?
Les deux en fait ! Chaque individu a les deux sexes au cours de sa vie (hermaphrodite) mais est d’abord mâle (protandre), ne produisant que des spermatozoïdes. Puis il devient au fur et à mesure femelle, produisant de plus en plus d’ovules et de moins en moins de spermatozoides. Pourtant, il ne s’autoféconde pas : les partenaires se rencontrent et se fécondent mutuellement en été, partie mâle de l’un avec la partie femelle de l’autre. Et inversement, vous l’aurez compris.
8 – Pas de système circulatoire
Comme précisé auparavant, ce ver plat n’a pas de système respiratoire, un bout de système digestif mais c’est encore plus troublant pour la reproduction : il n’y a pas de cavité sexuelle. La partie mâle agit comme une seringue qui perce la femelle et dépose directement dans le corps par injection les spermatozoïdes. Ils vont nager à l’intérieur jusqu’à croiser les ovules et les féconder. Les œufs se rassemblent avant de se faire déposer en paquet fixé de la même taille que l’adulte…
9 – Repousse
Le ver plat rose n’a donc ni cerveau (et pourtant il réagit), ni système respiratoire (et pourtant il respire), ni système vasculaire. Chaque partie de son corps ou presque est donc similaire aux autres. Il peut regénérer une partie qui aurait été mangée par inadvertance. Dans certaines conditions, même coupé en deux, chaque partie peut regénérer un adulte complet par scissiparité !
10 – Attention
Vous l’aurez compris, ce n’est pas un animal dangereux pour tout plongeur. Ce n’est pas une raison pour détruire son habitat par coups de palmes râpant le fond ou l’embêter en appuyant de vos grands doigts dessus pour le faire se reproduire en le découpant ! La plongée est parfois bien plus belle et colorée quand on essaie de faire attention aux petits trucs planqués au fond !
Jérémy Delille