Les plongeurs démineurs, contrairement à la qualification “plongeur de bord”, viennent apprendre un métier à part entière. Leur formation de 10 mois les qualifie sur des plongées pouvant aller jusqu’à 80 mètres et les forme aux techniques spécifiques de déminage.
Les profils de ceux qui sont sélectionnés pour entamer le cours sont variés : certains arrivent directement du civil, d’autres sont déjà plongeurs de bord et souhaitent changer de spécialité. Les derniers sont des officiers sélectionnés par leur hiérarchie pendant leur école d’application, généralement 6 par an. Ceux-là démarrent par le cours de base de plongeur démineur avant de rejoindre, en seconde partie de cursus, les brevets supérieurs (voir témoignage) pour la partie Commandement. « Mais pour nous, quand ils arrivent, explique le maître principal Laurent, instructeur, il n’y a plus de grade, que ce soit un jeune qui sort tout juste de Conflans ou un « vieil » officier, c’est pareil. » Et pour ceux qui démarrent sans aucune certification, il faut, entre les différentes sélections et les cours à proprement parler, compter deux ans de formation pour obtenir le brevet de plongeur démineur ; et dix mois supplémentaires pour le BS, le brevet supérieur.
Tous, lorsqu’ils entament le cours, sont déjà plongeurs et titulaires du certificat de plongeur de bord. Après un rapide tour d’horizon des connaissances acquises, il faut alors continuer à se former à l’air jusqu’à 50 mètres, selon une progression par tranches de 15 mètres, jusqu’à atteindre une profondeur de 80 mètres, limite de leur domaine d’intervention. Pendant 4 mois, la plongée reste au centre de leur apprentissage.
La narcose, ennemie des élèves plongeurs démineurs
En plongée loisir, nombreux sont ceux qui ont déjà ressenti les effets de la narcose. En exploration, l’expérience se termine généralement bien, à condition de reprendre tranquillement le chemin de la surface. Mais pour les aspirants démineurs, elle est inacceptable. Et nul n’est égal devant sa sensibilité à l’apparition des premiers symptômes : « Nous devons déceler rapidement, explique le maître principal Laurent, si nos élèves y sont sensibles, en leur faisant effectuer des parcours sous-marins. Ils doivent absolument rester clairs jusqu’à 50 mètres, condition sine qua non à la poursuite de la formation. » Selon les sessions, deux ou trois élèves en général s’avèrent trop sensibles et, pour des raisons évidentes de sécurité en opération, sont définitivement écartés. On teste aussi leur aptitude à utiliser le FROGS, le circuit fermé des nageurs de combat, pour voir comment ils supportent physiologiquement le 100 % oxygène.
Explosifs et travaux sous-marins
Une fois l’élément « plongée » maîtrisé, ils commencent pleinement à apprendre leur métier. Cette seconde partie est alors axée sur la manipulation des explosifs et les travaux sous-marins. Ils apprennent à mettre en œuvre des charges explosives sous l’eau, aussi bien qu’à terre puisqu’ils sont susceptibles d’intervenir sur la zone de l’estran, jusqu’aux plus hautes eaux en fonction des marées. « C’est également un filtre important dans la formation, précise leur instructeur. Celui pour qui cela génère un stress trop important ne peut pas prétendre devenir démineur. » Ils reçoivent également une formation de base en matière de travaux sous-marins, dans l’atelier immergé situé à l’École de plongée : soudure, découpage, montage de structures, équipés d’un narguilé… autant de gestes techniques qu’ils pourront également être amenés à effectuer sur le terrain.
« La résistance physique, conclut le maître principal Laurent, est très importante. Il ne faut pas oublier que les équipements pèsent 50 kilos ! Ils doivent aussi avoir une très grande aisance aquatique. » Et être capables de supporter la pression qui leur est imposée. « C’est dur, il faut être rigoureux et motivé, admet-t-il, mais c’est un métier formidable ! On fait du sport, on est dans l’eau, et il y a une vraie variété dans le travail, il n’y a aucune lassitude qui risque de s’installer ».
En sortie de cours, les plongeurs démineurs certifiés pourront être affecté dans différents types d’unités : soit sur l’un des 9 chasseurs de mines de la Marine, basés à Brest et à Toulon ; soit ils feront partie de l’un des trois GPD, Groupes de plongeurs démineurs, à Cherbourg, Brest ou Toulon ; soit ils intégreront la Flottille de lutte contre les mines, créée en vue de l’arrivée dans la Marine du système de lutte anti-mine du futur. Mais, embarqués ou non, en entraînement ou en opérations, ils seront bien dans l’eau tous les jours.
« En 2013, j’ai obtenu mon certificat de plongeur de bord, afin de me diversifier car il n’y en avait pas à bord de mon bâtiment. Puis j’ai eu envie de continuer. En 2016, j’ai tenté le cours de plongeur démineur mais j’ai échoué. Je pense que je manquais d’expérience en plongée. En 2017, j’ai retenté et, cette fois, réussi. Ce sont en fait les 4 premiers mois qui sont les plus durs. Ensuite, affecté sur un chasseur de mines, puis au GPD de Toulon, j’ai alors été sélectionné en interne pour le cours du BS de plongeur démineur, qui nous permet de devenir chef de mission. Il s’agit d’avoir une vue d’ensemble, d’être capable, sur le terrain, de prendre toutes les mesures et les décisions qui s’imposent. Je pense que, pour réussir dans ce métier qui n’est jamais dans un cadre fixe, il faut être capable de s’adapter continuellement, de se remettre en question, en écoutant du haut vers le bas. Et accepter le dépassement de soi, sans oublier d’être très curieux. Beaucoup n’osent pas en se disant qu’ils n’y arriveront pas. Il ne faut surtout pas rester là-dessus. Rien n’est impossible, il faut juste se renseigner. »
Maître Vincent, en formation supérieure (BS) pour devenir chef de groupe
Ils sont dans l’eau tous les jours !
« Même si les phases opérationnelles ne représentent qu’environ un tiers du temps, je tiens à ce que mes plongeurs ne perdent rien de leur entraînement et de leurs réflexes », explique le capitaine de corvette Mathieu Fadde, commandant du GPD Manche. Chaque jour, ils multiplient ainsi les plongées de 0 à 80 mètres. « Et au plus ils sont profonds souvent, mieux c’est ! ». Ils s’entraînent aussi inlassablement à l’utilisation des outils de détection comme les sonars portatifs, au repérage visuel et à la mise en œuvre des explosifs. Chaque geste doit être pour eux parfaitement maîtrisé, ce qui leur permettra justement, en intervention, de s’adapter aux spécificités du jour. « Et lorsqu’ils sortent de l’école, estime-t-il, il faut encore à mon avis une année, même s’ils sont opérationnels, pour être tout à fait formés aux spécificités locales, notamment aux marées et aux courants. C’est un métier qui ne s’apprend vraiment que sur le terrain. »
En opération, les démineurs travaillent en équipe autonome : deux encadrants, dont l’un est chef de mission, et deux équipiers. « Lorsqu’il s’agit de plongées particulièrement engagées, notamment en terme de profondeur, nous augmentons l’équipe d’intervention, afin qu’ils se relaient, d’autant plus que nous utilisons toujours les tables MN90 qui imposent de longs paliers de décompression, précise le responsable ».
Des centaines de milliers de munitions à détruire
Ils partent en général une semaine, avec des véhicules et un zodiac, munis d’une feuille de route avec la liste des munitions à détruire, entre Cherbourg et Calais. Exception à la règle, lorsqu’elles sont très dégradées et proches des populations, une équipe d’intervention est envoyée sur place en urgence pour traiter la munition qui représente un danger immédiat pour la population.
« Il y a encore aujourd’hui en moyenne une découverte par jour, la plupart du temps par des promeneurs, précise le commandant, il reste dans la région des centaines de milliers de munitions qui n’ont pas explosé ! Compte tenu de leur ancienneté, et donc de leur instabilité, on ne cherche pas à les neutraliser, on les détruit. » À terre, l’affaire est vite réglée. Après avoir déterminé un périmètre de sécurité et d’évacuation, la munition est en partie enterrée pour éviter les projections d’éclats métalliques, et on la fait exploser. En mer, la mission est plus délicate. En fonction des informations données par les pêcheurs, qui peuvent avoir la mauvaise surprise de retrouver une munition dans leur filet, il faut parfois deux à trois jours pour les relocaliser avant de les traiter. « Il s’agit souvent de mines qui renferment plus d’une tonne d’explosifs, explique le capitaine de corvette, on ne peut donc pas les faire exploser trop près du rivage. Il faut alors les élinguer, éventuellement les désensabler, puis les relever à l’aide d’une vache et les déplacer après avoir placé un chameau pour plus de stabilité en surface. » La préfecture maritime donne alors une position d’intervention à respecter pour la destruction, généralement au-delà des 6 milles nautiques. Elles explosent entre deux eaux, pour essayer de minimiser leur impact sur les fonds marins. Des méthodes d’effarouchement, avant la mise à feu, permettent aussi d’éloigner préventivement les cétacés qui se trouveraient dans la zone.
Au GPD Méditerranée, gérer des opérations de débarquement
Ancien commando marine, le premier maître Florian est aujourd’hui chef de mission au GPD Méditerranée. « La spécialité du groupe, explique-t-il, c’est ce que l’on appelle le VSW (Very shallow water, autrement dit les eaux très peu profondes) dont le but est de sécuriser les fonds alentour et la plage en elle-même pour permettre un débarquement de troupes. » En utilisant drones et plongeurs, il s’agit de localiser et neutraliser tout obstacle, munitions ou autres, bloquant l’accès au rivage, un entraînement en vue d’éventuelles opérations sur des zones de conflits.
Leur mission consiste aussi à détruire les engins explosifs retrouvés par les usagers de la mer, même si leur nombre est beaucoup moins important que pour le GPD Manche. Ils réalisent également des travaux sous-marins, comme la désobstruction, le relevage d’épaves, le découpage. Ils sont eux aussi, comme leurs collègues de la Manche, dans l’eau tous les jours entre entraînements et intervention. Un métier de passion qui correspond bien à ce que le premier maître avait imaginé, notamment en côtoyant au cours de ses différentes affectations, en tant que commando, des plongeurs démineurs. « Tout le monde peut le faire, à condition d’être extrêmement motivé ! Il faut aussi être très physique, puisque, au-delà du poids du matériel, il faut relever et mouiller des gueuses extrêmement lourdes, lutter contre le froid, le courant. Il faut savoir réfléchir dans l’effort et le stress, et savoir gérer le problème de la narcose. Il faut avoir le goût de l’effort, du travail en équipe et savoir rester humble », conclut-il.
Les pré-requis
Être de nationalité française.
Être apte médicalement et physiquement.
Avoir entre 17 et 30 ans. Être titulaire du Bac.
La formation préparatoire aux métiers de la plongée de Conflans-Sainte-Honorine
Un centre unique en France recrute en externe une douzaine de jeunes par an pour les amener, au bout de deux ans de formation, à être plongeurs démineurs. Un cursus très encadré qui met toutes les chances de leur côté.
« L’objectif de ces jeunes, âgés de 18 à 24 ans, explique Michel Ravoisier, responsable de la formation, est vraiment de devenir plongeur démineur ». Mais lorsqu’ils déposent leur dossier au centre, accessible dès 18 ans à condition d’être bachelier, ils commencent par effectuer une semaine de sélection à l’Ecole de plongée de Saint-Mandrier. Là, pas de blocs sur le dos, mais simplement une première approche de l’aquaticité et de la vie de groupe, ciment indispensable à leur réussite. Sur environ 35 candidats, une douzaine sont retenus.
Pour eux démarre alors l’aventure de l’Ecole de Conflans qui les mènera, deux ans plus tard et si tout va bien, au métier de leurs rêves. De septembre à fin avril, intégrés au sein d’un lycée de maintenance marine, ils se forment à la mécanique, à la soudure, à la théorie dispensée lors du cours Plongeur de bord. Ils apprennent également les bases de la plongée, dans une fosse de 20 mètres située à proximité de leur école. Deux semaines de plongées en mer et un mois d’embarquement viennent compléter leur expérience pratique. Pendant ces huit mois de « prépa », les élèves vivent et travaillent ensemble en permanence. Depuis septembre 2022, ils partagent une péniche amarrée sur les bords de Seine, à proximité de leur lieu d’enseignement. Un mode de vie qui permet encore d’augmenter la cohésion du groupe et de multiplier leurs chances de succès. Parallèlement à leur cursus, ils rénovent actuellement aussi une goélette de 1907, en partenariat avec les élèves du lycée professionnel qui les accueille. De quoi rêver, déjà, de prendre la mer.
En 17 ans, depuis la création du centre, pas un d’entre eux n’a abandonné : 88 % sont restés dans la Marine nationale et 43 % finissent, au bout des deux ans, par être plongeurs démineurs après être passés par le cours de plongeur de bord. Ce qui permet aux plus jeunes d’entre eux d’être certifiés à 20 ans ! Ils s’engagent alors pour dix ans, bien sûr renouvelables. « C’est un métier passion, et c’est ça qui leur donne à tous la capacité de réussir, insiste Michel Ravoisier. Bien sûr, ils doivent être sportifs, aquatiques, mais pas forcément plongeurs. Ce que je conseille avant tout à un jeune qui a envie de se lancer dans cette formation, c’est de rencontrer d’anciens élèves, notamment à travers les réseaux sociaux ou pendant les tests de sélection. Et il ne faut pas oublier qu’il y a mille façons d’exercer le métier de plongeur démineur, à terre ou en étant embarqué, en France ou à l’étranger. C’est aussi cette envie de découvrir de nouveaux horizons que nous souhaitons leur transmettre. »
image d’ouverture © Sarah Lacarrere / Marine nationale / Défense