Un petit survol au-dessus d’un herbier de posidonies et un léger mouvement attire notre regard de plongeur et nous pousse à nous arrêter de palmer pour scruter les environs. Difficile de voir quoi que ce soit au milieu de cette prairie et tout à coup des mouvements lents se détachent et une longue patte vient s’accrocher sur les éboulis rocheux à proximité de l’herbier. Puis un corps trapu et hérissé de pointes émerge des plantes au ralenti et se fixe. Une superbe araignée de mer vient de faire son apparition. Un joli cadeau que nous offre dame nature !
1- Avis aux arachnophobes : N’ayez pas peur, bien que son nom vernaculaire la désigne comme une araignée et que ça taille impressionnante la rende digne de certains cauchemars, cette bestiole est en réalité un crustacé ! Les arachnides n’ont que 4 paires de pattes et pas d’antennes ce qui n’est pas le cas de notre esquinade qui possède en tout 10 pattes et 4 antennes. Elle appartient à l’ordre de décapodes (du latin deca = dix et podia=pieds)
2- Une armure adaptable : comme tous les animaux munis d’un exosquelette, la croissance de l’araignée de mer se fait par mues successives. Pour grandir, l’animal va s’extirper de son ancienne carapace devenue trop petite et va en créer une autre mieux adaptée à ses nouvelles dimensions. La croissance est rapide pendant les 2 premières années d’existence puis se ralentit et s’arrête complètement. L’araignée de mer possède ce que l’on appelle une mue terminale au-delà de laquelle elle ne grandira plus, ce qui n’est pas le cas de tous les crustacés.
3- Une croissance réparatrice : Les mues possèdent un avantage non négligeable : si l’araignée de mer a perdu une ou plusieurs pattes mangées ou arrachées par des prédateurs, celles-ci vont pouvoir se régénérer permettant ainsi à l’animal de retrouver l’intégralité de son corps. Suivant le moment où cette patte aura disparu, elle repoussera soit à la mue suivante soit à celle d’encore après. Pour l’araignée de mer cette aspect réparateur disparaîtra hélas avec la mue terminale.
4 – Reine du camouflage : malgré une taille plutôt imposante, il est n’est pas facile d’observer des araignées de mer. Elles se déplacent lentement pour ne pas attirer le regard et la couleur brun-orangé de la carapace se fond à merveille dans le paysage sous-marin. Les jeunes individus prennent le temps de recouvrir leur carapace de petites algues et d’autres organismes qui améliorent grandement leur faculté de dissimulation. Il a été observé que ces éléments sont généralement repartis de façon équilibrée sur l’ensemble de la carapace.
5 – Seulement méditerranéenne : Maja squinado est un crustacé endémique de Méditerranée. Cette grande araignée de mer a longtemps été apparentée à sa cousine atlantique mais de récentes études datant du début du millénaire ont bien identifié la singularité de cette espèce.
6 – Une taille remarquable : La grande araignée de Méditerranée fait partie des crustacés les plus impressionnants que l’on puisse voir dans la grande bleue. La tête massive pouvant mesurer une vingtaine de centimètre est entourée de pointes épaisses. La partie frontale se termine par 2 rostres solides et imposants en forme de V. Ses dix longues pattes effilées sont repliées sous son corps mais son envergure, une fois celles-ci déployées, peut atteindre 80 à 90 centimètres !
7 – On en pince pour elle : Les 2 pattes antérieures se terminent par de fines pinces. Ces dernières ne possèdent pas la puissance du homard ou de certains crabes mais elles sont très efficaces pour dépiauter les restes de nourritures disponibles sur un animal mort ou encore attraper des algues et autres petits crustacés, vers et mollusques qui serviront de repas. L’araignée de mer ne se refuse pas non plus à consommer quelques algues afin d’enrichir encore la variété de son alimentation. Finalement, tout ce qui est immobile ou qui ne bouge pas trop vite est potentiellement consommable.
8 – Une reproduction de grande envergure : la période de reproduction semble commencer en janvier et dure 3 à 4 mois. Les études scientifiques rapportent 2 à 3 périodes de pontes avec des quantités d’œufs pouvant varier de 40 000 à 400 000 en fonction des individus et de leur taille. La femelle garde jalousement sa progéniture entre segments repliés de son abdomen. 6 à 7 semaines d’incubation permettront aux larves d’éclore et de passer une quinzaine de jours sous une forme pélagique avant de rejoindre le fond.
9 – une migration verticale les araignées de mer quittent les zones de grandes profondeurs (au-delà de 150 m) pour rejoindre les zones proches de la côte à la fin de l’hiver lors d’une migration ascendante. Puis, au bout de quelques mois, aux environs de l’automne, elles redescendent dans leurs aires d’hivernage.
10- Un nom qui ne date pas d’hier : Le nom scientifique Maja squinado vient de la contraction des termes : Maja (ou Maïa) est une sorte de crabe, décrit dans les récits d’Aristote et de Pline l’Ancien, mais qui peut également être le nom d’une déesse de l’antiquité dont la fête se célébrait au mois de mai ; Squinado vient du provençal « esquinado » désignant une personne courbée ou voûtée – ce qui correspond parfaitement à cette belle araignée recroquevillée sur ses pattes.
Fabien Valladier