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Alban Michon : expédition Arktic, 2000 kilomètres en solitaire

Il y a 7 ans

Début mars, Alban Michon rejoindra les glaces de l’Arctique et le village inuit de Kugluktuk pour une expédition en solitaire qui le mènera jusqu’à Resolute Bay après un périple de près de 2000 kilomètres. Avant son départ, il nous fait partager ses préparatifs, mais aussi ses rêves d’aventurier, et ses inquiétudes.

Texte : Isabelle Croizeau
Photos : Andy Parant
(Retrouvez cet article dans le n°8 de Plongez !)

Traverser l’Arctique en solitaire, c’est l’équivalent à terre des grandes traversées océaniques, mais par -45°C… Comme en mer, tout peut s’arrêter au bout de quelques jours, un accident, un imprévu majeur, une mémorable tempête. Pour augmenter les chances d’aller au bout de l’aventure, rien, dans les moindres détails, ne doit être laissé au hasard. Il faut anticiper, imaginer les petits tracas et les gros problèmes avec la même détermination, parce que dans ces contrées un incident peut bien vite signifier la fin du voyage.

L'itinéraire d'Alban Michon pendant l'expédition Arktic

L’itinéraire d’Alban Michon pendant l’expédition Arktic.

Un routeur océanique pour le guider

C’est Michel Meulnet qui sera son guide. Routeur océanique, il a notamment collaboré à des tours du monde en catamaran, à la Route du Rhum ou encore à la Transat Jacques Vabre. Il a également « routé » des équipages à la rame, en kite ou en kayak, sur toutes les mers du monde. Et il connaît bien cette région du grand nord canadien pour y avoir guidé notamment des navigateurs alpinistes, qui se rapprochaient à la voile des sommets de leurs rêves. Charge pour lui de transmettre chaque jour à Alban toutes les données nécessaires à sa progression : température, force et direction des vents, mais aussi état des glaces, pour choisir ensemble l’itinéraire le plus rapide mais aussi le plus sûr. Lui aussi a commencé à travailler bien avant le départ d’Alban, en étudiant les statistiques des dernières années pour dégager des tendances même si, là encore, rien n’est figé. « Et c’est ce qui est intéressant et motivant, explique-t-il, savoir que rien n’est jamais acquis, qu’il faut anticiper, changer de route si nécessaire ». Michel assure une veille permanente et peut, au-delà de leur rendez-vous quotidien prévu par téléphone satellite, joindre Alban en cas d’évènement météo brutal.

L’expédition en chiffres
Durée : 3 mois.
Poids du matériel : 200 kg.
Distance parcourue prévue : 1700 kilomètres.
Température diurne : -45°C.
Température de l’eau : -1,6°C.
2 ravitaillements.

Un entraînement sans fin dans les montagnes de Tignes

C’est sur les glaciers aux alentours de la station de Tignes que l’aventurier se prépare à affronter les longues heures d’effort, à manier ses traîneaux, mais aussi à supporter les nuits glacées de l’Arctique. Abrité pendant ses heures de repos par une simple tente, il doit fournir chaque jour des efforts considérables. En fonction des conditions météo, il prévoit de progresser 10 heures lors des meilleures journées, mais de réduire de moitié au besoin si les conditions sont trop mauvaises. Pendant des semaines, au-delà de la course à pied qu’il pratique toute l’année pour se maintenir en forme, il a donc suivi un programme spécifique de préparation sportive, concocté par Benestar France, l’un de ses partenaires dans l’aventure. Et avec son complice le photographe Andy Parant, il s’est habitué à utiliser son matériel de plongée sous la glace des lacs de montagne.
L’alimentation, elle aussi, a un rôle important à jouer : pendant toute l’expédition, Alban doit augmenter considérablement sa ration journalière. « Mais au début, explique-t-il, on a souvent du mal à manger suffisamment, et l’on n’arrive pas aux 5000 ou 5500 calories quotidiennes qui sont pourtant nécessaires dans ces conditions. » Du coup, les premiers jours sont particulièrement éprouvants : le corps a d’énormes efforts à fournir, il doit s’adapter à un environnement difficile sans avoir suffisamment de carburant ! Mais une fois habitué, c’est muesli le matin en énormes quantités, barres de céréales, fruits secs, chocolat, en-cas tout au long de la journée et un vrai repas le soir, au chaud sous la tente. « Il faut éviter de s’arrêter dans la journée, précise Alban, tout est fatigant, faire fondre de la glace pour préparer à manger est une vraie dépense d’énergie, dans le froid, ce n’est pas possible. »

Pour ne pas gaspiller une énergie précieuse, Alban Michon s'est entraîné à installer rapidement son campement @Andy Parant

Pour ne pas gaspiller une énergie précieuse, Alban Michon s’est entraîné à installer rapidement son campement. © Andy Parant

Un projet né il y a trois ans

« Partir seul, c’est un rêve que j’avais depuis longtemps », poursuit Alban. A son retour du Groenland en 2012 (Ndlr : après l’expédition Under the Pole 1 en 2010), il a déjà cette envie mais pas de réel projet en tête, et se pose un peu. Jusqu’à ce qu’il découvre quelques mois plus tard, dans un reportage de Christophe Cousin diffusé sur Thalassa, une poignée de milliardaires chinois en train de boire le champagne sur la banquise du Pôle Nord, déposés par un brise-glace nucléaire, là où il leur avait fallu tant d’efforts pour arriver 6 ans auparavant ! « J’ai eu un déclic, se souvient-il, je me suis dit que notre monde polaire ne serait plus jamais le même, qu’à six ans d’écart cette expédition avait perdu son sens et n’aurait plus été possible. Il faut montrer sa beauté brute avant qu’elle n’évolue, la partager pouvait être plus fort que n’importe quel discours politique. » De ces deux envies – partir seul et se faire « ambassadeur » de l’Arctique –, est né le projet Arktic. « Tout part de la glace, insiste Alban, elle raconte l’histoire de notre planète, elle a une influence sur le reste des océans, et donc sur le climat, et j’ai envie de toucher les gens en leur montrant sa beauté, même si le monde polaire est en train de changer. »

Alban Michon est déterminé à mener à bien cette nouvelle expédition, en solitaire cette fois. @ Andy Parant

Alban Michon est déterminé à mener à bien cette nouvelle expédition, en solitaire cette fois. © Andy Parant

Dormir avec son recycleur

Skis de randonnée aux pieds, Alban traîne derrière lui deux pulkas, chacune chargée de 100 kilos de matériel environ. Et s’il a choisi deux traîneaux au lieu d’un, c’est en prévision des passages les plus difficiles, lorsqu’il faudra déchausser les skis, pousser, tracter, ou au contraire franchir des espaces d’eau libre : ses deux traîneaux pourront alors, attachés l’un à l’autre, flotter et devenir pour quelques dizaines ou centaines de mètres l’embarcation de fortune qui évite un immense détour. Quand un vent régulier mais modéré voudra bien souffler, et que le relief ne sera pas trop accidenté, Alban pourra compter sur une voile de kite, qui lui permettra pour quelques heures de ménager ses efforts et de couvrir dans la journée une plus grande distance.
Alban a prévu d’effectuer une dizaine de plongées au cours de son périple. « Même si ce n’est pas une expédition plongée à proprement parler, parce que c’est ma passion et mon ADN, je ne peux pas envisager de ne pas me mettre à l’eau ! » Mais seul et sans assistance, à des températures qui frôlent parfois les -50°C, il doit prendre un maximum de précautions. Michel Meulnet lui indiquera les fenêtres météo possibles, lorsqu’il sera certain de pouvoir profiter le lendemain d’une journée entière sans vent. Ces nuits avant chaque plongée, Alban a prévu de les passer avec son recycleur dans le duvet, pour le maintenir au chaud ! Après un semblant de grasse matinée pour être en forme, un solide repas pour emmagasiner des calories, il pourra commencer à mettre en place son site de mise à l’eau (voir encadré). En tout, il prévoit au moins trois heures de préparation avant chaque plongée. Chaque immersion ne durera sans doute pas plus de trois quarts d’heure, à six mètres au maximum puisqu’il plonge à l’oxygène pur. Alban emmène dans ses bagages le plus petit et le plus solide de tous les recycleurs, le M.O.D.E, mis à disposition par le fabricant Aqua Lung. Sans base en dur, nomade seulement équipé d’une tente, il est impensable de gérer la maintenance. « Il fallait donc un appareil léger, fiable, sans composants électroniques », explique Alban.

Un protocole de plongée établi en fonction des ours !
Plonger en solitaire en Arctique, c’est gérer des températures effroyables, certes, mais c’est aussi prendre le risque de se trouver nez à nez avec un ours blanc à sa sortie de l’eau ! « C’est le plus grand danger auquel je pourrais être confronté, explique Alban, et c’est ce qui m’a amené à imaginer un protocole de plongée bien particulier ». Il prévoit, à proximité immédiate de sa tente, de creuser deux trous de mise à l’eau. A côté de chacun d’eux, un pistolet d’alarme qui tire des fusées éclairantes, suffisantes pour décontenancer l’ours. Entre les deux trous, Alban installera un périscope : lorsqu’il aura terminé sa plongée et s’apprêtera à remonter, il pourra ainsi surveiller les abords des trous, et s’assurer qu’il n’y a pas d’ours en train de l’attendre, prêt à lui donner un magistral coup de patte comme il le ferait à un phoque imprudent ! Dans le cas contraire, il rejoindra le second et tirera une fusée, avant de sortir et de s’emparer de son fusil, placé à égale distance des deux trous. Le but étant de tirer en l’air pour effrayer l’animal. Par ailleurs, il aura pris soin de déposer sa poubelle du jour un peu plus loin, puisque c’est bien la nourriture qui intéresse l’ours blanc.
Protocole de plongée en fonction des ours

Plonger pour étudier la glace

En plongée et à terre, Alban doit collecter des informations utiles aux chercheurs. Sous l’eau, c’est l’état de la glace qui retiendra son attention. Le but est de l’analyser afin de déterminer sa composition. Est-elle composée de glaces mono ou pluriannuelles ? Une information qui permettra de mieux comprendre comment ce fameux passage du Nord-Ouest est en train d’évoluer. Sur terre, c’est l’épaisseur de neige qu’il lui faudra régulièrement mesurer. Autant d’informations précieuses pour évaluer l’impact du changement climatique sur les régions polaires. Car si des relevés ont déjà été effectués dans la région, notamment par l’institut polaire norvégien, ils datent de plusieurs années. De plus, ils étaient ponctuels, jamais effectués sur autant de points et pendant aussi longtemps. Les comparer à la réalité actuelle sera donc intéressant, l’objectif étant de faire avancer la connaissance sur les modifications climatiques de la région. Des informations précieuses, compte tenu de l’importance des régions polaires dans la régulation mondiale des océans.

Alban Michon équipé pour résister au froid sous l'eau. La température peut atteindre -1,6°C. @ Andy Parant

Alban Michon équipé pour résister au froid sous l’eau. La température peut atteindre -1,6°C. © Andy Parant

Un tournage sous-marin au milieu de nulle part

Pour ramener les précieuses images qui permettront au retour de faire un film et un livre sur l’expédition, le photographe Andy Parant a prévu de retrouver Alban pendant quelques jours : « je pars en expédition parallèlement à l’expédition ». L’idée, c’est d’être présent ponctuellement, pour ne pas modifier l’esprit du périple solitaire d’Alban. C’est donc au début de l’aventure, puis au cours des deux ravitaillements prévus, qu’Andy doit normalement le rejoindre : la première fois avec un caméraman sous-marin, afin de compléter les images qu’Alban tournera lui-même au cours de chacune de ses plongées, la seconde fois avec un autre coéquipier. Mais là encore, rien n’est figé : la progression d’Alban est dépendante du vent, mais aussi du relief. « On ne sait ni où, ni quand, ni comment on pourra le rejoindre, explique le photographe, on ne sait même pas si on se déplacera en motoneige ou en traîneaux à chiens, même si on préférerait cette seconde option ! ».

Presque seul au monde pendant trois mois

Excepté au cours de ces « rendez-vous » prévus avec Andy, Alban sera seul. Il emportera donc avec lui une trousse médicale conséquente, et s’est préparé à gérer les urgences. « Je m’entraîne à me recoudre, explique-t-il quelques semaines avant son départ, sur des cuisses de poulet quand je ne trouve pas de pied de cochon ! » Parce que personne ne pourra rapidement lui porter secours, mais aussi parce qu’il ne voudrait surtout pas devoir renoncer pour quelques points de suture ou tout autre problème médical gérable. En prévention, il a également fait vérifier l’état de ses dents, radios à l’appui, réalisé un bilan sanguin ainsi qu’un test d’effort et un bilan chez l’ostéopathe. A l’arrière, plusieurs médecins sont en veille, afin de pouvoir lui indiquer à distance, en cas de « pépin », les bons gestes, les options possibles, de décider avec lui s’il peut continuer ou renoncer. Tous les deux ou trois jours, il a également prévu de joindre son ami Vincent Berthet – son référent, comme il l’appelle –, par téléphone satellite : Vincent connaît parfaitement le monde polaire et saura l’accompagner au besoin dans les décisions à prendre. Il est donc seul, mais pas complètement. « Mais cela ne me fait pas peur, commente-t-il, la solitude choisie n’a rien à voir avec une solitude imposée. »
Avant de partir, Alban nous confiait : « je sais que je peux revenir au bout de trois jours, mais ça fait partie du jeu et je l’accepte ». Ne pas tout maîtriser, redonner tout son sens au terme d’aventure bien souvent galvaudé, c’est aussi le message de ce voyage. Tenter, avec humilité, de se frayer un chemin dans une nature à l’état brut, navigateur solitaire dans un océan de neige et de glace.

Pendant 3 mois, Alban Michon sera seul, une simple tente le protègera des températures extrêmes des nuits polaires. Pour être capable de se recoudre seul en cas de blessure, il s'est entraîné a faire des points de suture sur des cuisses de poulet. @ Andy Parant

Pendant 3 mois, Alban Michon sera seul, une simple tente le protègera des températures extrêmes des nuits polaires. Pour être capable de se recoudre seul en cas de blessure, il s’est entraîné a faire des points de suture sur des cuisses de poulet. © Andy Parant

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