« Des barracudas ! » Ah ? En êtes-vous sûrs ? Car ce groupe des Sphyraenae comporte de nombreuses espèces, qui vivent souvent dans les mêmes endroits (sans pour autant se reproduire ensemble, du fait d’habitudes différentes) et se ressemblent beaucoup. Au point que de nombreuses publications ne distinguent pas ces deux espèces de bécunes rencontrées autour de la France métropolitaine… Il vous faudra porter attention aux détails pour les distinguer !
1- La grande forme
La bécune (ou spet) allongée et argentée, mesure 160 cm max (à 15 ans), a une tête pointue, acérée et prognathe (la mâchoire inférieure en avant). Ses nageoires sont courtes, même les 2 dorsales, et la queue est bien bilobée en V chez l’adulte (pas chez l’alevin), ce qui fait ressembler les bécunes à des brochets (Sphyraena en latin) de mer. Ces bécunes sont rencontrées entre 0 et 100 m de profondeur.
2- Bécunes ou bécunes ?
Sphyraena viridensis ou « bécune à bouche jaune » possède une vingtaine de bandes verticales sombres réparties le long du corps et n’a pas d’écailles sur les opercules. S. sphyraena lui ressemble beaucoup, avec des écailles parfois peu visibles sur les joues et n’a pas de bandes, ou alors elles sont très pâles. Pour certains auteurs, il s’agit d’espèces proches et les « pâles » seraient des hybrides (normalement infertiles si les espèces sont séparées, pensez au mulet ou au bardot). Pourtant elles se reproduisent : ces bandes sombres seraient donc un caractère variable chez une espèce unique, comme la couleur des yeux chez l’humain ?
3- Stratégie de groupe ou groupe de stratèges ?
Juvénile, la bécune flotte en eaux peu profondes, se cachant dans les herbiers de posidonies pour échapper au cannibalisme surtout des adultes. Elles vivent en bancs de tailles variables (de 10 à 40 individus) et de tailles différentes (40-60 cm en moyenne). Stratégie de groupe pour éviter les prédateurs ? Elles se trouvent en haut de la chaine alimentaire. Pour organiser la chasse ? Pas de rôle défini encore… Ce sont simplement des solitaires qui se rassemblent régulièrement.
4- Dévore tout (ce qui est plus petit)
Vous l’aurez peut-être remarqué, les bécunes sont solitaires en hiver, alors que les bancs peuvent être énormes en été : cela dépend des proies recherchées, surtout côtières. Ce sont surtout des petits poissons, comme les petits maquereaux Trachurus picturatus qui font leurs menus, bancs contre bancs. Les pieuvres, seiches et même vers ou crustacés croisés complètent le menu.
5- « Ba-rra-cu-da ! »
Que diriez-vous si, approchant d’une meute de chats sauvages, quelqu’un disait « Oh, des guépards ! » ? Alors, pourquoi appele-t-on les groupes de bécunes des « barracudas » alors qu’il y a un poisson de 2 m de long, argenté et solitaire en mer Rouge qui porte ce nom Sphyraena barracuda ? Cette espèce se rencontre, en réalité, dans quasiment toutes les mers et océans. Même en Méditerranée occidentale passant par le canal de Suez… Et les jeunes de ce grand barracuda vivent en groupe, la confusion est donc facile.
6- Dentition
Justement, comment les distinguer ? Les dents, allongées, effilées comme des canines, sont bien visibles lorsque la bécune baille (pour dissuader les éventuels gros prédateurs que sont les plongeurs ?). Mais lorsque la bouche est fermée, ses dents sont invisibles. Au contraire, le gros grand barracuda a des dents tellement imposantes qu’elles dépassent sur les côtés de sa bouche fermée.
7- Rapidité et curiosité
Une bécune, haut placée sur la chaine alimentaire, n’a que peu de raison d’avoir peur. Il serait même dans son intérêt de vérifier si tout ce qu’elle croise est comestible. C’est pourquoi les bécunes peuvent parfois se rapprocher des plongeurs. Avec pointes de vitesse à 40 km/h, elles peuvent fuir et revenir en un temps très court. Restez à l’affut pour vos photos ! La grande majorité du temps paresseuses, elles attendent face au courant.
8- Dangerosité à modérer
Il est impressionnant de se retrouver dans le banc de bécunes ! Ne s’attaquant qu’aux plus petits pour l’alimentation, vous courrez peu de danger, du moment que vos doigts sont gantés ou peu accessibles. Ce sont plutôt elles qui auraient peur : si vous êtes trop envahissant, une bécune peut mordre préventivement. Et se briser les dents, car celles-ci sont fines et fragiles.
9- De plus en plus ?
Les plongeurs ont l’impression de voir de plus en plus de bancs de bécunes. Pourtant, il a été montré que la bécune à bouche jaune avait un faible taux de renouvellement (peu d’adultes comparés au nombre d’œufs). En revanche, les S. chrysotaenia ou bécunes à ligne jaune, plus petites et à queues jaunes, observées dans le bassin oriental de la Méditerranée sont de grandes compétitrices. Sont-elles donc de plus en plus ou se font-elles progressivement remplacer ?
10 Actuellement
Il y a de nombreuses espèces de Sphyraenae et avec le réchauffement global des eaux, les espèces méditerranéennes se retrouvent en compétition avec celles venant du canal de Suez et du canal de Gibraltar. Mais elles en sortent aussi, pour se diriger vers les Canaries et autres îles atlantiques, tout en restant méridionales.
Jérémy Delille
Un article passionnant dans lequel j’ai appris de nombreux détails sur ces poissons, merci à son auteur.