La réputation de Saint-Eustache dans les Caraïbes en matière de plongées historiques n’est plus à faire. Plus récemment, l’île s’est relevée du passage des ouragans Irma et Maria en découvrant une nouvelle épave venue enrichir son musée sous-marin…
Texte Ruud Stelten / Photos Mike Harterink
Traduction et adaptation : Sandrine Leveugle-Souan
Des plages de sable blanc, une mer chaude et une bière rafraîchissante dans un bar local sont les premières choses auxquelles on pense lorsqu’on se rend dans les Caraïbes. Cette région est une destination de vacances populaire pour les personnes du monde entier.
Cependant, ce paradis possède son côté sombre. Chaque année, entre juillet et octobre, dame Nature y montre son côté le plus extrême. En septembre 2017, Irma et Maria, deux des plus violents ouragans de l’Atlantique, ont frappé les Caraïbes. À Saint-Martin, Irma a semé la destruction sur son passage. Leurs voisines Saint-Eustache (Statia) et Saba ont également subi des destructions, mais à une échelle beaucoup plus petite.
S’ils ont eu des effets évidents sur terre, Irma et Maria ont également causé des impacts sous l’eau. À Saint-Eustache notamment, quelque chose d’extraordinaire s’est passé : les ouragans ont déplacé de grandes quantités de sable sur le fond de la mer, créant ainsi de profonds cratères autour de certains sites de plongée. Ces cratères sont jonchés de vestiges archéologiques de la période coloniale, à l’époque où Saint-Eustache était l’un des ports les plus fréquentés du monde. À côté du site de plongée de Triple Wreck – l’un des plus réputés de l’île –, une épave de navire historique a été mise au jour.
Quelques jours après le passage des deux ouragans, l’équipe du centre de plongée Scubaqua a effectué plusieurs plongées pour évaluer l’état des sites de Saint-Eustache. Ce qu’ils ont découvert a dépassé leurs attentes les plus folles : chaque site était parsemé d’objets archéologiques, c’était comme plonger dans un musée sous-marin. Cela n’est pas surprenant compte tenu de l’histoire de cette île de 25 km2 : au XVIIIe siècle, Saint-Eustache, appelé Statia par les locaux, était l’un des ports les plus fréquentés du monde. En 1756, l’île fut déclarée port franc, les marchandises y étaient échangées en franchise de taxe. Chaque année, des milliers de navires jetaient l’ancre dans la rade pour échanger des marchandises européennes, des esclaves africains et des produits caribéens tels que le sucre et le rhum. Des centaines d’entrepôts regorgeant de marchandises animaient la ville, et l’île a rapidement été surnommée le « rocher doré ». En outre, Saint-Eustache a joué un rôle important pendant la guerre d’Indépendance des Etats-Unis (1775-1783), au cours de laquelle d’importantes quantités d’armes, de munitions et de poudre à canon furent expédiées aux rebelles dans leur lutte pour l’indépendance. Lorsque le libre-échange de l’île fut aboli sous la domination française en 1795, l’économie du Golden Rock s’effondra et l’île devint une colonie oubliée.
Face à ces découvertes, l’équipe de Scubaqua a immédiatement contacté Ruud Stelten, un archéologue spécialiste de l’histoire maritime de Statia et qui ne pouvait qu’être intéressé par l’apparition de ces nouveaux vestiges archéologiques (l’île compte déjà un grand nombre d’épaves fréquentées par les plongeurs). Trois mois plus tard, Ruud atterrit à l’aéroport de Saint-Eustache avec huit étudiants et du matériel pour documenter les nouveaux vestiges dans les moindres détails : « D’après les descriptions de Scubaqua, cela ressemblait à un naufrage inconnu auparavant. Il était de la plus haute importance de documenter cette découverte le plus rapidement possible avant qu’elle ne soit recouverte à nouveau par un déplacement de sable, ou pire encore, avant que les chasseurs de trésors ne pillent l’épave, ce qui ferait perdre à jamais de précieuses informations. »
Lorsqu’on imagine un naufrage historique dans les Caraïbes, il ne faut pas s’attendre à une coque de bois complètement intacte au fond de la mer. La plupart du bois est généralement mangé par Teredo navalis, un mollusque bivalve vermiforme, de sorte que le site ne ressemble généralement pas aux vestiges d’un navire. Il ne reste généralement que des objets non organiques comme une pile de ballast, des canons, des ancres et des objets transportés par le navire, tels que des céramiques, des bouteilles de vin et les biens personnels de l’équipage. Des restes de coque en bois peuvent cependant être trouvés sous le pieu de ballast. Ce bois peut être daté en utilisant la dendrochronologie (Méthode de datation par l’étude des anneaux de croissance des troncs d’arbres).
Après quelques jours de préparatifs et une plongée de contrôle sur l’un des récifs intacts de Statia, les chercheurs sont prêts à débuter l’enquête. La chance est avec eux car les conditions sont parfaites toute la semaine, avec des eaux cristallines et peu de courant. Ils commencent leur travail minutieux en cartographiant le site de l’épave dans les moindres détails. « La première étape consistait à ventiler le site à la main afin d’éliminer la fine couche de sédiment qui le recouvrait encore en grande partie », explique Ruud. « Une fois tout nettoyé, il était temps d’appliquer l’une des techniques les plus récentes en archéologie sous-marine : la photogrammétrie, c’est-à-dire la création d’un modèle 3D basé sur de nombreuses photos prises sous différents angles. Si ces photos présentent suffisamment de chevauchements, un programme informatique peut calculer la position relative à partir de laquelle chaque photo a été prise et crée une représentation en trois dimensions de l’épave. Un tel modèle est une méthode de documentation extrêmement précise. De plus, il offre au grand public l’occasion de visiter le site et de le découvrir sans avoir à plonger. En outre, un modèle 3D fournit une base de référence, un enregistrement détaillé de l’épave à un moment donné, qui peut être utilisé pour suivre les changements sur le site lorsqu’il a été modifié par des processus naturels ou des interférences humaines. »
Après avoir pris les photos du modèle 3D et mis l’ordinateur au travail (ce qui peut prendre plusieurs jours), l’équipe poursuit sa mission en configurant une grille de mesure pour cartographier tous les vestiges de l’épave. « Ce ne sont pas seulement les vestiges eux-mêmes qui nous renseignent sur le passé, mais aussi le lieu où ils se trouvent l’un par rapport à l’autre », explique Stelten. « Il est donc primordial de documenter l’emplacement exact de chaque objet. Ces mesures seront ensuite ajoutées au modèle 3D. Le modèle est très précis, mais les plus petites découvertes, telles que de petites particules de céramique ou de verre, peuvent être difficiles à voir. En théorie, consigner manuellement ces découvertes est assez simple : un ruban à mesurer est placé sur toute la longueur de l’épave, maintenu en place par des épingles métalliques. À partir de cette ligne de base, un deuxième ruban à mesurer est utilisé pour enregistrer les distances de tous les vestiges sur le site à un angle de 90 degrés entre les deux bandes. Sur le plan pratique, toutefois, cette tâche n’est souvent pas aussi simple qu’elle le semble : il faut avoir une excellente maîtrise de sa flottabilité pour ne pas perturber le site ni détruire la vie marine tels que les coraux et les éponges. De plus, le moindre courant peut faire plier le ruban à mesurer, entraînant des mesures incorrectes. » Pour positionner l’épave sur une carte des environs, l’équipe gonfle un parachute au niveau du point 0 de la ligne puis enregistre la position en surface par GPS.
Avant de commencer la phase suivante de la recherche, l’équipe suit un cours intensif de photographie sous-marine avec le centre de plongée. « L’un des aspects les plus importants de tout projet de recherche archéologique consiste à mettre en place une bonne documentation basée sur des photos », explique Mike, l’un des propriétaires de Scubaqua et photographe sous-marin. « Celles-ci sont importantes pour l’aspect scientifique, mais aussi pour la promotion du projet et la diffusion des résultats auprès du grand public. »
Armée des connaissances précieuses de Mike, l’équipe entreprend de photographier tous les aspects du site, des plus petits objets aux plans d’ensemble des travaux de toute l’équipe.
Mais la collecte de données et les travaux sur le terrain ne constituent qu’une petite partie d’un projet archéologique. Les chercheurs s’attellent ensuite à savoir ce qui est arrivé exactement au navire découvert : quel âge a l’épave ? D’où venait le navire ? Que transportait-il ? Pourquoi a-t-il coulé ? Les vestiges trouvés sur l’épave racontent une partie de l’histoire, tels que les biens personnels de l’équipage – des assiettes en céramique et en métal, des cuillères, des bouteilles et verres à vin, des pipes à tabac en argile et des boucles à chaussures. L’objet le plus intéressant a peut-être été une boucle de cheville en métal, utilisée pour enchaîner les Africains réduits en esclavage dans la cale du navire. L’épave pourrait être celle d’un navire négrier, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour confirmer cette théorie.
En outre, un certain nombre d’éléments de fixation en fer ont été découverts qui ont été utilisés pour la construction du navire, et plusieurs cerceaux de tonneaux seraient susceptibles d’avoir été utilisés pour le transport du rhum. Les archéologues ont également été frappés par la présence de centaines de briques jaunes hollandaises, qui étaient utilisées comme lest sur les navires pendant le voyage vers les Amériques puis comme matériaux de construction une fois arrivées dans les Caraïbes. Le fait que le lest était toujours présent sur le navire laisse penser qu’il a coulé peu de temps après son arrivée à Statia.
La plupart des vestiges ont pu être datés par l’équipe, ce qui a permis de fournir une indication de la date à laquelle le navire a sombré, aux alentours de l’année 1745. Le fait qu’il ait coulé au milieu de la rade – une zone sablonneuse par 20 mètres d’eau – est un autre indice important : aucune bataille navale n’ayant eu lieu autour de l’île (pour ce que l’on en sait à ce jour), et vu l’absence de rocher que le navire aurait pu heurter, l’explication la plus probable du naufrage est un ouragan. Les archives historiques indiquent que Saint-Eustache a été frappé par un puissant ouragan en 1747. Sur les 74 navires ancrés sur l’île, seuls six ont survécu à cette tempête et plus de 300 personnes se sont noyées. Il est fort probable que l’épave récemment découverte fait partie des 68 navires qui ont sombré au cours de cet ouragan.
Les recherches se poursuivent et d’importants vestiges seront remontés dans l’espoir de mieux connaître l’identité du navire et de résoudre ainsi un autre morceau du puzzle complexe que représente l’histoire de Saint-Eustache.
Le centre de Scubaqua vous offre d’ores et déjà la possibilité de découvrir cette nouvelle épave, ainsi que de nombreux sites chargés d’histoire : Double Wreck avec ses ancres et pierres de lest, Anchor Point avec sa vieille ancre française datée de 1780, Blue Bead Hole avec ses perles bleues ou encore Lost Anchor, où l’on ne compte plus le nombre d’ancres présentes…
Ruud Stelten
Pour se rendre à Saint-Eustache :
– Vols réguliers pour St. Martin depuis Paris et Amsterdam. La compagnie locale WinAir permet d’atteindre St. Eustache en 20 minutes depuis St. Martin, où vous êtes accueillis par le centre de plongée pour votre transfert à votre hôtel. Sur certains vols en partage de code, la connexion à Saint-Martin vous permet de ne pas avoir à récupérer vos bagages pour votre transfert.